Paroles d'experts : Guy Lorquet répond à nos questions
Guy Lorquet est inspecteur de l’enseignement primaire.
Il a participé à plusieurs groupes de travail visant à proposer des pistes didactiques aux enseignants du fondamental, en particulier suite aux épreuves externes non certificatives.

Dans les faits, l’histoire semble le parent pauvre de l’école fondamentale : les enseignants y consacrent peu de temps et semblent plutôt mal à l’aise face à l’enseignement de cette discipline
. A votre avis, comment peut-on expliquer cette situation ?
Il me semble que l’histoire, au même titre que la géographie et l’éveil scientifique sont des disciplines effectivement négligées. Tout d’abord parce que, dans l’imaginaire collectif, le français et les mathématiques passent avant. Il s’agit d’abord d’apprendre « la base ». Les disciplines d’éveil apparaissent comme plus accessoires.
Ces disciplines sont d’ailleurs pratiquement systématiquement placées l’après-midi, lorsque l’attention des élèves est moindre mais aussi parce que le matin est consacré à l’essentiel : math et français. Ce sont donc des leçons qui « passent facilement à la trappe » par manque de temps.
Je pense aussi qu’il y a une méconnaissance (qui n’est pas propre aux enseignants) de l’histoire. Cette discipline a d’ailleurs considérablement évolué sans que les pratiques dans les classes aient été adaptées. Il est évident que nous sommes loin de la leçon d’histoire à partir de l’article du Tremplin ou des manuels racontant l’histoire… comme une histoire. L’histoire actuelle fait peur. La multiplicité des nationalités constitue une réticence à parler de l’histoire de notre pays alors que dans la classe, beaucoup ne sont pas Belges.
Il est un fait, enfin, qu’une leçon d’histoire réclame de rechercher des documents, ce qui n’est pas toujours facile.
Peut-être encore, les enseignants ne sont-ils pas convaincus de son importance.

L’histoire est étrangère aux enfants : elle ne fait pas vraiment partie de leur univers proche ; c’est une donnée culturelle à construire, le plus souvent abstraite. Comment justifier, à leurs yeux, la nécessité et l’intérêt d’apprendre le passé ?

L’histoire telle que je la conçois n’est pas étrangère aux enfants. Elle fait partie de leur univers proche. Elle est justement très concrète. L’histoire sert à comprendre le présent. Si il s’agit de connaissances pour elles-mêmes (la culture), je crains que les élèves ne soient pas motivés, effectivement.
Si, par contre, les élèves cherchent dans leur passé pour comprendre leur présent, cela devient plus motivant. Il est donc primordial, pour moi, de partir du présent pour remonter le temps à la recherche d’explications. Bien sûr, les hommes préhistoriques, les chevaliers et les pyramides auront toujours leur lot de supporters. Mais il s’agit d’histoire « évènements » et non d’histoire « construction du présent ». Je ne peux m’empêcher d’associer histoire et construction de la notion mère de temps. L’histoire commence donc à l’école maternelle et se poursuit en primaire.

« Celui qui ne connaît pas son histoire, est condamné à la revivre. » Cette citation d’un auteur dont je ne me rappelle plus le nom (sous une forme approximative ci-dessus) insiste sur la nécessité de l’histoire pour se souvenir (l’histoire « mémoire »). C’est un autre aspect très important. Le Decret "Missions" évoque d’ailleurs les deux aspects.

Selon vous, quels sont les savoirs historiques minima que tout enfant devrait maîtriser en quittant l’école fondamentale ?
Actuellement, ceux définis dans les socles de compétences et dans les programmes, tout en sachant que ces outils seront appelés à évoluer.

Aborder l’histoire à l’école primaire, cela ne devrait-il pas se faire principalement par le biais de l’histoire locale, plus proche et plus accessible ?
Aborder l’histoire se fait d’abord à l’école maternelle à travers la construction de la notion de temps (avant, pendant, après, le calendrier, les saisons et toutes les notions et activités développées pendant au moins trois ans).
Lorsque les élèves arrivent à l’école primaire, ces notions sont approfondies et amplifiées. Ensuite, les élèves vont partir de leur vécu, de leur mode de vie avant d’envisager celui de leurs parents et grands-parents. Si c’est ce que vous appelez l’histoire locale, alors effectivement, ça me paraît préférable. Mais ce n’est pas par facilité que j’opte pour ce choix. C’est parce que cette histoire concerne l’enfant à qui on veut faire comprendre pourquoi il vit de cette manière aujourd’hui.
Il y a aussi l’aspect citoyen que je n’ai pas évoqué. A travers la formation historique, il y a une compréhension de l’évolution du pays et des institutions.

La ligne du temps (ou frise historique) semble l’outil incontournable pour enseigner l’histoire. Qu’en pensez-vous ?
Pour enseigner, certainement pas. D’autant plus que les élèves ne sauraient pas se représenter une durée de plusieurs siècles (nous non plus d’ailleurs). La ligne du temps est un outil qui permet de situer des évènements les uns par rapport aux autres (et à quelques points de référence). C’est une façon de pouvoir comparer aussi des durées et de montrer que l’histoire est une évolution (justement non linéaire). Il y a peu de « cassures » dans l’histoire. Le monde ne change pas du tout au tout avant et après un évènement. Cela se fait progressivement. L’apparition de la traction diesel dans les chemins de fer n’a pas coïncidé avec la disparition brusque et totale de la traction à vapeur. Les deux ont coexisté de nombreuses années.
Enfin, la ligne du temps « conventionnelle » ne permet pas, par exemple, de faire apparaître des cycles (les saisons). Je suis donc pour, non pas une ligne du temps, mais de multiples lignes du temps qui peuvent devenir spirales ou boucles.

Contrairement aux domaines de l’éveil scientifique ou géographique, où l’on a davantage matière à expérimenter avec les élèves, les leçons d’histoire se basent le plus souvent sur des lectures de textes. Finalement, les difficultés rencontrées par les élèves en histoire ne seraient-elles pas d’abord des difficultés en lecture ?
Je suis surpris par l’affirmation « les difficultés rencontrées par les élèves ». De quelles difficultés voulez-vous parler ? La base des activités d’histoire, c’est la recherche documentaire. Le document historique devrait être omniprésent dans les activités. Malheureusement, leur recherche n’est pas facile et demande beaucoup de temps en termes de préparation. Il s’agit, pour moi, d’un problème d’enseignant et non d’élèves.

Que pensez-vous des manuels en histoire ? Sont-ils de bons outils ? A quelle(s) condition(s) ?
Je connais fort peu de manuels récents d’histoire. Les éditeurs ne semblent pas très enthousiastes à investir dans ce domaine. Cela situe bien l’ampleur du problème. La difficulté d’un manuel est la disparité des vécus. Il est difficile de parler de charbonnages à Bruxelles (en référence aux grands-parents) par exemple. Je rêve d’un manuel qui serait une banque de documents. Il a existé il y a de nombreuses années une collection de documents A4 (à La Renaissance du Livre). Il s’agissait d’un superbe matériel qui existe probablement encore dans certaines bibliothèques d’écoles mais…
Un manuel récent présentait des démarches de recherche à partir de documents. Je vais essayer de retrouver les références.


Selon vous, peut-on dégager une progression logique dans l’enseignement de l’histoire à l’école fondamentale ? Si oui, cette progression doit-elle être chronologique (en abordant, par exemple, les périodes historiques les unes à la suite des autres dans l’ordre) ?
Je pense qu’il faut d’abord une progression anti-chronologique : moi, mes parents, mes grands-parents… avec éventuellement des flashs sur des évènements particuliers ou une époque particulière.
Au cycle 4, on pourrait reprendre une progression chronologique pour compléter les informations accumulées jusque là.
On peut aussi associer des recherches thématiques. L’important, me semble-t-il, est d’organiser et de structurer les informations au fur et à mesure afin de créer des liens entre les évènements. Comprendre, c’est relier les évènements entre eux.

Beaucoup d’auteurs évoquent la dimension « citoyenne » de l’enseignement de l’histoire. Quels sont les savoirs historiques nécessaires au citoyen ?
Cette intention n’est-elle pas trop ambitieuse pour des enfants de l’école fondamentale ? Sont-ils suffisamment mûrs pour développer un esprit critique dans le domaine de l’histoire ?
Il n’y a pas de savoir spécifique nécessaire au citoyen. C’est la compréhension de l’histoire dans nos régions à travers sa propre histoire qui fera que l’élève se sentira acteur de l’endroit où il vit. Le mode de vie de 2009 est le résultat des actions de tous ceux qui nous ont précédés. Si la vie ici aujourd’hui permet à chacun de s’exprimer, d’être libre, de voter, de travailler, de fonder une famille …, c’est le résultat de l’évolution voulue par les hommes. Il s’agit maintenant de préparer les enfants à prendre la relève afin d’être capable de maintenir les acquis tout en supprimant les injustices.
Mais ce sera le résultat d’une longue éducation qui commence à l’école primaire et qui devra se poursuivre. Ceci est la finalité ultime de l’enseignant, dont l’enfant n’est ni conscient, ni informé. Nous construisons les bases.

Qu’est-ce qu’être un « bon professeur d’histoire » ? Si vous ne deviez donner qu’un seul conseil aux enseignants maternels et primaires, que leur proposeriez-vous ?
Intéressez-vous à l’histoire, en commençant avec les temps les plus proches. Plus vous en saurez, plus votre envie sera grande d’en faire profiter vos élèves.

Guy Lorquet,
Le 12/10/2009

 Article 9. - La Communauté française, pour l'enseignement qu'elle organise, et tout pouvoir organisateur, pour l'enseignement subventionné, adaptent la définition des programmes d'études et leur projet pédagogique :

aux objectifs généraux de l'enseignement définis à l'article 6;

à l'apprentissage, à l'approfondissement et à la maîtrise de la langue française;

à l'apprentissage des outils de la mathématique;

à l'intérêt de connaître des langues autres que le français et, principalement, de communiquer dans ces langues;

à l'importance des arts, de l'éducation aux médias et de l'expression corporelle;

à la compréhension des sciences et des techniques et à leur interdépendance;

à la transmission de l'héritage culturel dans tous ses aspects et à la découverte d'autres cultures, qui, ensemble, donnent des signes de reconnaissance et contribuent à tisser le lien social;

8° à la sauvegarde de la mémoire des événements qui aident à comprendre le passé et le présent, dans la perspective d'un attachement personnel et collectif aux idéaux qui fondent la démocratie;

9° à la compréhension du milieu de vie, de l'histoire
et, plus particulièrement, aux raisons et aux conséquences de l'unification européenne;

10° à la compréhension du système politique belge.

(Décret "Missions" : chap.II, art. 9)